L’aérodynamique dans l’urbanisme - Etude CFD de l’écoulement de l’air autour d’une station multimodale
2022-07-16
Le 18 février 2022, l’ouragan Eunice sévit en Angleterre, arrachant sur son passage des arbres, des lignes électriques et le toit du stade O2 Arena.
Des vitesses de vent record sont enregistrées (196 km/h) et les dégâts matériels s’élèvent à plus de 432 millions d’euros selon l’ABI (Association of British Insurers). Bien que ces intempéries ne soient pas très fréquentes contrairement à ce que l’on peut penser, elles deviennent de plus en plus violentes.
Pour cette raison, l’aménagement et l’organisation des espaces urbains ne peuvent s’affranchir de la considération de l’impact du vent pour des raisons qui sont avant toutes liées à la sécurité des usagers.
Néanmoins, il n’y a pas que les ouragans de catégorie trois qui peuvent causer des dégâts. L’incident du pont de Tacoma 1940 dans l’état de Washington en est un des exemples les plus connus. A l’époque, les forces aérodynamiques (action du vent) sur la structure sont difficiles à évaluer, faute d’outils adéquats lors de la phase de conception. Il en résulte qu’un vent de seulement 65 km/h est suffisant pour mettre en résonnance la structure du pont (phénomène physique complexe lors duquel une structure vibre à grande amplitude jusqu’à parfois se rompre).
1. L’apport de la mécanique des fluides
Heureusement, de telles intempéries n’arrivent pas tous les jours, et au-delà de l’aspect purement sécuritaire, l’impact du vent constitue pour les usagers un critère de confort au même titre que le niveau sonore ou bien l’ensoleillement dans une zone considérée.
Cependant, prévoir l’écoulement d’un fluide n’est pas une chose aisée même expérimentalement.
C’est là que la mécanique des fluides numérique - couramment raccourcie en CFD (Computational Fluid Dynamics) - vient se positionner comme un outil pratique pour étudier l’écoulement autour des solides et participer ainsi à leur optimisation, que ce soit dans le but d’atteindre des critères de confort, de performance ou de sécurité. Un des atouts de la CFD est sa flexibilité, qui permet la comparaison de différentes géométries de façon rapide et peu onéreuse.
Aux Pays-Bas, où sévissent des vents forts, la marque Senz a eu recours à la CFD pour augmenter le confort de ses utilisateurs avec un design qui empêche le parapluie de se retourner (source : Actiflow.com)
Plusieurs grandeurs physiques peuvent être obtenues par simulation, tels que la vitesse du vent en tout point autour de l’objet ainsi que la force exercée par le vent sur la structure, une information qui aurait été précieuses aux ingénieurs de Tacoma dans les années 1930.
2. Un cas concret : la station multimodale
Un projet de station multimodale aménagé à proximité de la gare d'Oloron-Sainte-Marie (64) a été présenté à sa mairie par le bureau génie urbain d’Extia Ingénierie. Cette station intègre une large gamme de services dédiés à la mobilité en lien avec les offres de transport et aménagements existants : bornes d’information, banc connecté, toilettes, parking à vélo sécurisé, borne vélos en libre-service, borne gonflage, pièces de rechange et réparation, etc. La zone étant plutôt ventée durant l’année, il est souhaitable de connaître à l’avance les niveaux de vitesse du vent à proximité de la station pour des raisons de confort et de validité de son emplacement.
La station multimodale se trouverait dans la zone commerciale d’Oloron
Les deux paramètres d’importance dans une telle étude sont la disposition des principaux bâtiments alentours, car ils peuvent protéger la zone d’intérêt, ainsi que l’intensité et la direction du vent.
Ce dernier paramètre nécessite une analyse de données météorologiques afin de simuler les configurations de vent les plus fréquentes dans la zone étudiée.
Géométrie 3D de la zone d’intérêt qui est utilisée pour calculer l’écoulement de l’air autour de la station. La géométrie a été réalisée avec le logiciel Spaceclaim
La géométrie délivrée par l’architecte du projet est retouchée pour simplifier les détails non pertinents pour le calcul et la prise en compte des bâtiments qui l’entourent. Tout est dorénavant près pour passer à la simulation de l’écoulement à partir des données d’entrée.
a. Analyse de l’écoulement autour de la station
Un premier cas est d’abord simulé, avec une vitesse de vent de 17 km/h entrant dans le domaine par le côté Ouest-Sud-Ouest (un type de vent très probable durant l’année).
Vitesse du vent autour de la station à 1m80 du sol avec un vent Ouest-Sud-Ouest. En bleu figurent les zones de basse vitesse et en rouge les zones de haute vitesse.
Comme attendu, l’analyse de la vitesse à 1m80 du sol permet de mettre en évidence le fait que les structures ralentissent le vent dans leur sillage. L’apport du calcul réside dans le fait que les zones de faibles vitesses d’air sont clairement identifiées autour de chaque bâtiment, ce qui serait très difficile à déterminer expérimentalement.
Certaines vitesses observées à proximité de la station sont suffisamment élevées pour générer de l’inconfort pour les usagers, notamment à l’intérieur même de l’abris.
Imaginons que cela ne satisfasse pas des critères de confort imposés, comment serait-il possible de réduire l’effet du vent autour de la station ? Dans la suite une solution est proposée, mais naturellement bien d’autres peuvent être imaginées.
La présence d’ailettes sur les parois de la station permet la diminution de la vitesse du vent à l’intérieur de celle-ci.
b. L’ajout de sapins autour de la station
Dans une deuxième simulation, le vent souffle toujours sur le domaine à 17 km/h depuis le côté Ouest-Sud-Ouest mais cette fois, des sapins ont été rajoutés autour de la station multimodale.
Les sapins sont caractérisés par leur porosité, c’est-à-dire leur capacité à limiter le passage du vent à travers leurs branchages. Dans cette étude, les arbres choisis ont les propriétés aérodynamiques du pin tsuga canadensis, mais la versatilité de la CFD permet de modéliser n’importe quel arbre quel que soient sa forme et ses propriétés.
Le cas de base précédent prend alors tout son intérêt car les nouveaux résultats peuvent être comparés avec les anciens, ce qui permet de mesurer l’effet des arbres seuls.
L’ajout de sapins autour de la station permet de diminuer la vitesse du vent près de la station.
Les sapins ont un effet sur la vitesse du vent à l’intérieur de la station. Les usagers sont mieux protégés.
Cette fois, l’ajout des sapins a permis une diminution de la vitesse autour et à l’intérieur de la station comme attendu. La solution marche !
Si l’on voulait encore l’améliorer, une étude similaire pourrait être envisagée où la disposition des arbres changerait ou encore, des haies pourraient venir les remplacer pour estimer leur impact sur le confort des usagers.
Dans un plan en coupe de la station, on peut voir la diminution de la vitesse du vent dans le sillage des arbres, illustrée par les zones en bleu (basses vitesses).
3. Dans l’architecture
Aujourd’hui la CFD est devenue un outil indispensable dans le domaine de l’architecture, en particulier pour les grands édifices qui, à cause de leur surface extérieure conséquente sont plus sensibles au vent. L’architecte, qui souvent n’a pas les compétences requises, va avoir recours à un organisme indépendant pour estimer les efforts engendrés sur la structure selon différents scénarios d’orientation et d’intensité probables du vent. Si l’endroit est soumis à de forts vents, l’architecture doit être adaptée pour minimiser les contraintes sur la structure. Qui plus est, les tours de haute altitude, sont susceptibles de créer des phénomènes dits de vortex shedding, ensemble de tourbillons qui peuvent impacter les autres bâtiments dans leur sillage. Et là aussi, la CFD peut aider à prévoir et pallier cet effet.
Le Burj Khalifa situé à Dubaï a une forme en triangle innovante qui limite l’impact des forces dues au vent quel que soit son incidence du vent et qui prévient l’apparition de vortex à son sommet (source pexels.com)
Nuages mettant en avant le phénomène de vortex shedding (allées de Von Karman) autour de l’île Juan Fernandez. Ce phénomène est néfaste dans les zones urbanisées (source : researchgate.net).
Etude réalisée par les Bureaux d’études en Mécanique des Fluides (CFD) et Génie Urbain et Aménagement d'Extia Ingénierie.